Les clés de Delphine Martinot, professeure en psychologie sociale

Delphine Martinot

Le 29 février dernier s’est tenue la réunion des acteurs du réseau national du Programme de Réussite Educative (PRE) à l’auditorium Marceau Long du 20 avenue de Ségur. À cette occasion, nous avons interrogé la chercheuse Delphine Martinot, Professeure des Universités en psychologie sociale à l’Université de Clermont-Auvergne, sur l’un de ses thèmes de recherche : l'engagement et le désengagement scolaires chez les jeunes.

ANCT : Qu’entendez-vous par « engagement scolaire et social » ? Pourquoi est-ce important dans le contexte éducatif ?

Delphine Martinot : L’engagement scolaire est synonyme de motivation scolaire. Il représente l’effort que l’enfant met dans son parcours. C’est également un engagement cognitif, c’est-à-dire la conscience de sa responsabilité dans la réussite de ses études et les moyens qu’il met pour y parvenir : temps d’apprentissage, capacité à franchir les difficultés…  L’engagement social se traduit, quant à lui, par la façon dont l’enfant va avoir envie de travailler avec ses camarades de classe pour apprendre des nouveautés. Enfin, l’engagement comportemental correspond à l’acceptation des normes scolaires et le respect des valeurs de l’école. Lorsqu’on étudie le désengagement scolaire, on le questionne à travers ces trois prismes. 

L’engagement scolaire est directement lié aussi au sentiment d’appartenance scolaire, c’est-à-dire au fait que l’élève se sente à sa place à l’école. L’enfant peut alors s’engager par lui-même dans les apprentissages. Mais on observe que plus il a le sentiment d’avoir toute sa légitimité dans l’école et plus il se reconnait dans les valeurs portées, plus son engagement scolaire sera durable et efficace. Développer ce sentiment d’appartenance chez le jeune est clé pour créer un engagement fort. En général, il passe à la fois par les enseignants et par les camarades. Mais dans les quartiers défavorisés, nous avons observé qu’il passait essentiellement par les camarades. En REP, développer le tutorat entre élèves, les faire travailler et coopérer ensemble est donc un élément important pour créer un engagement scolaire robuste.  

ANCT : Pourquoi certains jeunes en arrivent-ils à se désengager scolairement ?

Delphine Martinot : Les enfants des quartiers défavorisés ont plus de chances de rencontrer des difficultés à l'école en raison des différences de statut socio-professionnel des parents, du phénomène de reproduction sociale mais également des stéréotypes liés à leur origine ethnique, ce qui peut affecter leur estime de soi et les entrainer à s’enferrer dans l’échec.

De ces causes structurelles, découlent des éléments plus psychologiques où l’enfant va pouvoir ressentir une certaine forme de privation par rapport à d’autres camarades. Par exemple, des études ont montré qu’un enseignant n’a pas le même comportement avec les élèves selon leur milieu d’origine. Les enfants peuvent le percevoir, ce qui les amènent à un sentiment de privation relatif vis-à-vis d’autres élèves qui seraient mieux traités. Plus les élèves ressentent ce sentiment de privation plus ils se désengagent scolairement.

Les camarades jouent également un rôle dans ce sentiment de privation. Si un élève est ostracisé par un groupe de camarades, qu’il y a une forme de harcèlement, cela amène au désengagement scolaire.

ANCT : Comment peut-on agir pour renforcer l’appartenance scolaire ?

Delphine Martinot : Notre société véhicule majoritairement l’idée que l’intelligence est fixe, déterminant ainsi les opportunités futures. Cette croyance, largement répandue, est imprégnée dans la culture occidentale et influence profondément les enfants. Même si on essaie de promouvoir le fait que l'intelligence peut se développer, cette croyance persiste.

Par exemple, le fait d’être « naturellement » bon ou non en mathématiques est l’une des plus grandes croyances fixistes. Elle a un poids très puissant dans la représentation de l’intelligence. Il faut faire comprendre aux enfants que cette intelligence peut se développer. Faire passer ce message est déjà un pas vers la réussite.

ANCT : Pouvez-vous nous expliciter ces notions de représentation stable et malléable de l’intelligence dont vous parlez ?

Delphine Martinot : La représentation stable c’est l’idée que l’intelligence est fixe et inchangeable. C’est croire que nous naissons tous avec une intelligence plus ou moins développée, et que nous devrions faire avec, sans possibilité d'évolution. En général, avec ce type de représentation de l’intelligence, dès les premières difficultés rencontrées, celles-ci sont assimilées à un manque de capacité lié au lot d’intelligence reçue à la naissance qui ne pourra être transcendé.

La représentation malléable, c’est l’idée qu’il n’y a pas de limites à l’intelligence. L’intelligence est en construction permanente et il est toujours possible de progresser. Les différences de capacités intellectuelles existent mais elles ne sont jamais si grandes que ce que les gens s’imaginent. Penser que l’intelligence est malléable permet de surmonter les difficultés, car il est possible de travailler, de comprendre différemment, ou de trouver des ressources pour être aidé : enseignants, camarades… Par ailleurs, cette représentation malléable de l’intelligence permet de gérer l’échec. Celui-ci ne sera pas vécu comme un échec de sa personne mais comme une étape dans un processus toujours en construction dans lequel l’erreur et la difficulté sont normales.

Il est primordial d’intervenir le plus tôt possible pour amener le jeune à se dire « Je suis toujours en développement quelles que soient mes difficultés. »

ANCT : Par quels moyens les éducateurs du programme de réussite éducative peuvent-ils amener le jeune à penser en ce sens ?

Delphine Martinot : Les éducateurs jouent un rôle crucial en offrant un soutien personnalisé aux enfants et en les aidant à développer un sentiment d'autonomie et d'efficacité dans leur apprentissage. En créant des environnements où les enfants peuvent exercer un certain contrôle sur leurs activités tout en restant guidés vers des objectifs d'apprentissage précis, les éducateurs favorisent une approche plus engageante et motivante pour le jeune.

En encourageant la collaboration et la co-construction entre camarades, à travers le jeu notamment, les éducateurs peuvent créer des dynamiques d'apprentissage qui amèneront le jeune à se dire que c’est possible et qu’il est compétent, car dans ce cadre ludique les erreurs sont possibles et ne prennent pas la même connotation que dans un contexte scolaire. Les enfants peuvent apprendre les uns des autres et se conforter dans leurs capacités.

Retrouvez l'enregistrement de la journée du Programme de Réussite Educative du 29 février dernier : https://youtu.be/7ZY2U1720TE